Wu Wei

Aujourd’hui j’ai envie de t’inviter à arrêter de SI FORT essayer. J’ai envie de t’inviter dans la douceur et le calme qu’est Wu Wei (无为).

Wu Wei, c’est une des idées fondamentales du taoïsme. Ça veut dire un peu non-effort, des fois traduit en non-agir, mais moi j’aime pas cette drôle de traduction de non-agir. De toute évidence, je ne suis pas une amibe et donc, je dois agir. Je n’ai rien non plus contre agir, l’univers est remplit d’agitations différentes, les molécules s’agitent par ci-bas, les galaxies s’agitent par ci-haut, pis les organismes du milieu s’agitent toujours tout le temps constamment eux aussi. C’est comme ça.

Non. Je sens un peu plus de sens dans l’idée du non-effort. Mais pas dans le sens de jamais rien s’efforcer de, de rester comme ça assis par terre à me lamenter pis à trouver le temps long.

Non. Plus dans le sens d’arrêter d’essayer si fort de RÉSISTER.
Résister à ce qui s’advient,
résister à ce qui est.

T’sais, que je nage avec ou contre le courant puissant du fleuve, je vais finir à peu près au même endroit. Pourquoi tous ces efforts, pourquoi toutes ces agitations, pourquoi toute cette résistance vaine? Pourquoi ne pas garder mes forces et simplement me laisser porter volontairement vers là-vas où le fleuve m’amène?

B’en parce que des fois je veux pas y aller, là où le fleuve m’amène. Oui b’en tant pis pour moi, parce que le fleuve m’y amène. C’est comme ça.

Mais, plus fondamentalement, pourquoi cette drôle de distinction que je m’amuse à faire mentalement entre le fleuve et moi? Pourquoi j’ai cette drôle d’impression que je suis séparé de lui, comme alien à toutes ces particules qui foncent ensemble vers la même direction? Pourquoi ne pas réaliser, pourquoi ne pas constater que je fais moi aussi partie du fleuve, de ces particules qui foncent, toutes ensemble vers la même direction?

Pourquoi ne pas me disparaître entièrement dans le fleuve?
Arrêter de faire la distinction entre lui et moi. Je suis le fleuve. Je vais dans cette direction.

Tu vois, cette résistance intérieure qui m’habite en tant qu’être humain me vient, je pense, de cette impression de séparation qui me distingue du fleuve. Et si on s’amuse à faire du fleuve une analogie pour la vie, est-ce que je crois vraiment que la vie s’arrête comme ça autour de ma peau comme une espèce de champ de force? Qu’il y a la Vie ET moi?

Non, franchement. Il y a juste La Vie.

Mais s’il y a juste la vie, peut-être que le fleuve c’était pas une analogie pour la vie, peut-être que c’était une analogie de Moi.

Et si c’était une analogie de Moi, avec une majuscule, peut-être que le moi qui résistait si fort aux courants du fleuve, c’est le petit moi en minuscules qui se trouve à l’intérieur, qui se débat contre les courant d’à l’intérieur. Qui se débat contre les humeurs, les sensations, les émotions, qui résiste constamment à ce qui est, au lieu de faire face et de se laisser porter.

Peut-être que c’est une analogie pour les deux.

Peut-être que c’est une analogie pour rien.

Dans tous les cas, peut-être que je t’ai mélangé un peu pis que tu as un peu perdu pieds pendant que je bougeais le tapis par exprès, pis b’en, dans le cas échéant,

tant mieux.

Viens donc te baigner dans le fleuve à place. On est b’en, l’eau est tiède. On se laisse porter par le tout va bien.

Lettre du dimanche