Tout est tout à fait ordinaire

Tu sais, mon amie, il y a une subtile et grande beauté dans l’ordinaire, je trouve. Je ne suis pas quelqu’un qui s’émerveille devant les choses. Remarque, je ne me sens pas vraiment heurté par les choses non plus. Je trouve la vie profondément et fondamentalement ordinaire. Et c’est beau, je trouve, l’ordinaire. C’est rien du tout, mais, quelque part, c’est géant.

L’autre jour, il y a quelques jours en fait, la semaine dernière je pense, il faisait frisquet et gris et il ne pleuvait pas, ma température préférée de tous les temps. J’appelle ça une journée « tendre ». Il fait tendre, ces jours-là, que je dis. J’ai choisis d’aller prendre une marche au jardin botanique de Montréal. Pendant ma marche, j’ai croisé des gens, pas beaucoup de gens, puisqu’il faisait gris et frisquet et que tout le monde n’aime pas les journées tendres, ça l’air. Il ventait aussi. Les gens étaient habillés avec des doudounes gonflées et des tuques parce qu’il faisait froid et qu’il ventait. J’ai croisé des arbres avec encore quelques feuilles jaunes, des arbres avec p’us de feuilles du tout, juste des branches brunes sur le fond gris tendre du ciel.

Je suis arrivé au jardin et, comme j’avais prévu intérieurement, les seules personnes que j’ai croisées étaient des petites mamies et des petits papis. Après tout, c’était le plein milieu de la semaine en après-midi et il faisait gris et froid. J’aime ça, croiser des mamies et des papis habillés en petites vestes ordinaires et en pantalons de laine. Ils ont une simplicité tranquille dans leur marche et dans leurs regards posé sur les choses autour. Les mamies me sourient et les papis me donnent un petit coup de menton par en bas.

Je me suis promené un peu parmi le jardin tout brun et sec, j’ai regardé les écureuils sauter dans les feuilles mortes un instant, j’ai senti des odeurs de pétrichor, j’ai regardé les horticulteurs couvrir quelques plantes pour l’hiver, j’ai marché quelque temps comme ça sans trop aller nulle part puis je me suis assis sur un banc devant un étang où il y avait encore quelques bernaches qui n’étaient pas encore parties dans le sud. En m’approchant j’avais marché sur un caca d’une d’entres elles donc j’ai pris une branche et j’ai enlevé le caca d’en dessous de mon soulier droit.

Je suis resté là quelques temps, je sais plus trop combien de temps, pas vraiment longtemps mais assez longtemps pour avoir un peu mal aux os des fesses. Je faisais rien, vraiment, sur le banc. Je regardais brièvement les oiseaux, les écureuils, les arbres bruns, j’ai répondu à quelques messages sur mon téléphone, j’ai écris un peu, je me suis mouché plusieurs fois parce qu’il faisait froid et qu’il ventait, j’ai souris à des mamies, j’ai donné des coups de menton à des papis, je me suis gratté un peu parce que j’ai la peau sèche, je me suis demandé ce que j’avais envie de manger pour souper, j’hésitais entre du gruau ou bien des légumes vapeur, j’ai entendu le vent dans les feuilles par terre et qui faisait un peu grincer les arbres autour, j’ai perdu un peu le fil, j’ai pensé à rien, puis après pas vraiment longtemps mais assez longtemps pour avoir mal aux os des fesses, je me suis relevé et je suis reparti vers chez moi.

La route du retour était comme la route de l’aller. Du vent froid, le ciel gris, quelques arbres avec des feuilles jaunes encore, des arbres avec juste des branches brunes, des gens avec des doudounes gonflées, des édifices en béton, des églises, des odeurs d’égouts, des chats de ruelles, des écureuils dodus.

Je suis arrivé chez moi en fin d’après-midi et j’ai préparé soit mon gruau soit mes légumes, je ne me souviens plus lequel avait gagné finalement. Sûrement les légumes, souvent je dîne du gruau et je soupe des légumes vapeur, c’est rarement dans l’ordre opposé. J’ai donc préparé mes légumes tranquillement en écoutant de la musique. J’entendais le « toc toc toc toc » du couteau sur la planche à découper à travers mes écouteurs.

Puis, ma blonde est arrivé du travail et on s’est embrassé et je lui ai demandé comment sa journée s’était passée. Bien, qu’elle m’a dit. Elle m’a demandé « pis toi, ta journée? »

Je lui ai dis que j’avais vécu une des plus belles journées de ma vie. Que quelque chose avait changé dedans moi aujourd’hui, que c’était profond.

Pas une seule fois dans toute ma journée je ne m’étais fait de commentaire intérieur sur quoique ce soit. Je ne m’étais jamais dis de « Wow », de « comme c’est beau », de « quelle merveille » non plus. En fait, je ne m’étais pas vraiment attardé sur quoique ce soit. Tout avait été profondément ordinaire. Un ciel gris, c’est tout à fait ordinaire, rien de spécial là-dedans. Il n’y a rien de spécial dans du vent, du froid de novembre, des gens qui marchent, des feuilles mortes, des arbres bruns, dans marcher un peu sans aller nulle part, en fait, je n’ai rencontré dans ma journée que des choses totalement et fondamentalement ordinaires. La vie est totalement et fondamentalement ordinaire, je trouve. Tout ce que je vois est ordinaire, tout ce que je sens est ordinaire, tout ce que j’entends est ordinaire, tout ce que je goûte est ordinaire, tout ce que je touche est ordinaire. Il n’y a rien de « spécial » dans quoique ce soit. Ce sont juste des images, des odeurs, des sons, des goûts, des sensations. C’est juste la vie.

C’est juste la vie.

Mais, quelque part au travers un gros tas de choses tout à fait ordinaire, je ressens des choses. Des fois j’en reviens changé. Curieux, quand même, tu ne trouves pas, mon amie? Je trouve, moi. Pis je trouve ça profondément touchant, quelque part. L’excitant ne m’excite pas, moi, je t’avoue. M’exciter et m’extasier devant quelque chose en sautant sur place avec les bras dans les airs me semble complètement absurde, personnellement. J’aurais l’impression de jouer un rôle, d’être un personnage d’une pièce de théâtre ou de dessin animé, on dirait que ça se peut pas, t’sais franchement, c’est rien qu’un arbre.

Mais quelque part, je comprends, même si moi je suis pas comme ça.

Parce que même si c’est rien qu’un arbre, que c’est juste la vie, tout ça,

C’est un Arbre, c’est la Vie, tout ça.

Dans le Zen ils disent « Avant l’éveil, va chercher de l’eau pis bûche du bois. Après l’éveil, va chercher de l’eau pis bûche du bois. » T’sais, c’est un koan zen, donc ça veut rien dire pour le vrai, mais je sais pas, quelque part, quelque chose dans ce proverbe me touche quelque part de fondamental dedans moi.

Lettre du dimanche