Rien qu’une fourmi

La semaine dernière, j’ai été visité l’insectarium de Montréal pour la première fois depuis sa rénovation et, lorsque je suis entré dans le grand vivarium, où on peu observer des insectes volants et trépidants partout autour de nous, je suis resté un moment devant les centaines fourmis qui découpaient de bon train des feuilles d’un arbre pour les ramener chez elles et j’ai vécu un beau sentiment. C’est un peu le même sentiment que je ressens des fois quand je m’arrête devant une grande église de pierres grises et que j’observe les centaines de pierres identiques et ternes qui la compose.

J’ai réalisé ma propre insignifiance. Et c’est un sentiment tellement bon et apaisant.

Tu sais, quand j’étais petit puis plus vieux un peu, je voulais tellement être vu, être important, être reconnu, sentir que j’avais de l’importance dans le grand monde, être unique, mais, depuis plusieurs années maintenant, tout ça me semble tellement inutile hahahaha! Aujourd’hui, je préfère profondément l’ombre à la lumière, l’insignifiance à la signifiance, être une simple brique grise ordinaire dans un mur de briques grises ordinaires, être rien qu’une toute petite fourmi de rien; mais, et c’est très important, surtout PAS pour me dire qu’à ma manière, je suis unique, qu’à ma manière, je suis important, qu’à ma manière, je fais partie d’un plus grand tout, que je suis important au tout, non. Parce que ça, ce serait exactement comme quand j’étais petit puis plus vieux un peu. Ce serait d’essayer de nourrir un besoin d’importance et d’unicité dans la circonstance d’être insignifiant. Non, c’est l’inverse que je ressentais quand je regardais les centaines de fourmis couper les petites feuilles et les rapporter avec elles.

Je les regardais et je ne voyais plus aucune d’entres elles, je ne voyais plus chaque fourmi, je ne remarquais plus qu’une d’entres elles avait une petite tache foncée, que l’autre avait une antenne de moins, qu’une autre marchait plus vite, qu’une autre encore avait l’air plus habile que ses voisines.

Tout ça avait complètement disparu et il n’y avait qu’un tas, un paquet de fourmis qui coupaient des feuilles. Et j’ai ressenti intérieurement « c’est rien que des fourmis. » Et ensuite j’ai pensé au briques grises et j’ai ressenti « c’est rien que des briques. » Et ensuite j’ai pensé à ma totale et absolue insignifiance dans les milliards de gens et j’ai ressenti « c’est rien que des humains. » Et ensuite j’ai pensé à tout l’univers, noir, grand, infiniment vide et immobile et j’ai ressenti « c’est rien. »

Et là, j’ai ressenti un profond chaud dans mon coeur, j’ai expiré un peu plus fort, puis j’ai senti mes épaules baisser un petit peu, j’ai souri un tout petit peu et je me suis senti profondément et totalement en paix. Comme toutes les fois où je me sens comme ça en regardant des briques grises ou quand je médite ou par hasard en voyant un paquet insignifiant de quelque chose. Ces instants où je disparaît une fraction d’instant et qu’il n’y a plus rien à faire, plus rien à être, plus rien à devenir, plus rien à accomplir, plus rien à sentir, plus rien du tout.

C’est rien.

Puis, la microseconde pendant laquelle tout ça s’est passé est passée elle-même, le bruit ambiant a reprit de son importance, les touristes et visiteurs ont recommencés à exister, les enfants criaient, je commençais à avoir faim, et j’ai repris ma route tout simplement.

Lettre du dimanche