Le temps qui passe

Dans quelques jours ça va être l’automne. Le vrai automne, l’officiel, la date choisie par les gens du passé pour tracer une ligne dans le sable et dire que là, maintenant, c’est enfin l’automne.

Avec le changement de saisons qui s’amorce tranquillement depuis quelques semaines, me viens une impression de déjà-vu. En même temps c’est normal, ça fait plus de trente fois que je vis l’été qui deviens l’automne. Ça me fait penser au temps qui passe, aux années qui défilent de plus en plus vite, et je comprends aujourd’hui doucement ce que ma mamie disait quand j’étais petit. Mon doux que ça passe vite, qu’elle disait avec sa voix rauque de cigarette. Voyons, de quoi elle parle, que moi je me disais, l’été, les vacances, elles avaient l’air infinies, exactement aussi infini que les journées d’écoles où je passais mon temps à regarder l’horloge et où chaque minute avait l’air d’une heure.

Mais t’sais, pour moi, quand j’étais tout petit, un an, c’était juste un dixième de ma vie. C’était quand même grand, comme proportion, comme partie du gâteau, mais pour ma mamie, un an, c’était quoi, un soixante-sixième de sa vie? C’était tout petit, comme proportion, c’était tout écrasé dans sa tête, les parties de gâteau.

C’est ça la vie, c’est rien du tout puis ça a l’air énorme puis ça a l’air tout petit puis ça a l’air énorme encore puis c’est rien du tout encore. C’est beau, je trouve. Même si ça fait peur des fois.

Moi, tu vois, ce qui me fait peur des fois, c’est sa grandeur. Autant le temps passe un peu plus vite qu’avant, autant l’étendue impressionnante d’une vie me fait un peu peur, m’étourdi un peu quand j’y pense. Souvent, quand je marche dans le bois où dans les parcs et que je croise d’autres petites vies, des petits oiseaux qui se promènent entres amis, un écureuil qui mange une frite, une mouette qui regarde l’écureuil qui mange une frite, des tamias qui courent à toute vitesse, une chenille qui essaie de traverser le chemin, je réalise à quel point ma vie est grande. T’sais, je suis capable de prévoir des petits projets pas importants là-bas, loin dans le temps, dans des années, à une époque qui pour moi n’est rien du tout, mais à un moment où toutes ces petites vies que j’ai croisé n’existeront plus. Dans la petite section d’espace temps que ça me prend prévoir un petit voyage, tellement d’êtres vivants auront vécu l’entièreté de leur vie. Pis de ma posture à moi, c’est juste un petit moment. C’est rien.

Ça me donne un sentiment un peu comme le sentiment que je ressens quand je suis debout devant une falaise pis que je la regarde d’en bas. C’est grand. C’est immense. C’est tellement géant, une vie. Des fois je me demande si c’est pas un peu trop long. Quoi faire de tout ce temps finalement?—que je me demande. Rien, je pense. Rien de spécial, je veux dire. Faire comme les petits oiseaux ou l’écureuil ou la mouette ou le tamia ou la chenille, au fond, juste vivre ma vie. Énorme pour moi, tellement longue et immense, mais tellement rien pour un arbre qui, pendant que je vis l’entièreté de ma vie, lui, se demande s’il étire sa racine un peu par ici ou bien un peu par-là.

Juste vivre ma vie.

Finalement, c’est ça qu’on fait tous ici, non? Moi, les petits oiseaux, l’écureuil, la mouette, le tamia, la chenille, la falaise, l’arbre, toi. On fait juste être là. Pis le beau là dedans moi je trouve, c’est que on peut pas ne pas faire ça, parce que « vivre une vie », c’est pas quelque chose de prescriptif, c’est quelque chose de descriptif. C’est pas quelque chose qu’on essaie de faire, c’est quelque chose qu’on a fait. Quoiqu’il arrive, j’aurai vécu ma vie. J’aurai fait ce que j’avais à faire ici, on aura fait ce qu’on avait à faire ici,

juste vivre nos vies.

Pis là, c’est le moment de vivre l’automne. N’est-ce pas merveilleux? Quand même un peu moi je pense.

Lettre du dimanche