Libre encore

Mon amie il y a quelque chose qui se passe quand tu passes des années à déconstruire volontairement et consciemment tout ce que ton mental a créé et auquel il s’est identifié depuis son émergence. En tout cas, il y a quelque chose qui s’est passé pour moi quand moi j’ai fais ça, petit à petit, au cours des dernières années. Le sol s’est totalement effondré en dessous de mes pieds, je me suis retrouvé en chute libre dans le néant et je suis devenu libre encore.

Ça a commencé doucement, à déconstruire par-ci par-là des petites perceptions, des petites croyances générales sur le monde extérieur, puis, doucement, graduellement, une brique après l’autre, j’avais pris un genre de goût à déconstruire, une obsession même, une addiction presque. Tout—devait—être déconstruit.
 Ça me donnait comme des chatouilles par en dedans quand je déconstruisais un concept jusqu’à son vide, quand je remarquais l’absurdité d’une idée, d’une croyance, d’un concept, quand je pouvais la faire disparaître comme complètement. C’était presque plus fort que moi, j’étais devenu un marteau piqueur, un boulet de démolition, un trébuchet, une machine de guerre qui était partie en insurrection contre l’univers et contre elle-même.

Puis, un jour, finalement, inévitablement peut-être, au fil de ma croisade de plusieurs années contre l’univers et moi-même, je suis tombé sur la dernière fortification, la plus haute tour, le château, le centre de la cité que j’avais entièrement saccagé sur mon passage—Moi.
 Rien n’était épargné, ma morale, ma conception de bien et de mal, mon identification au mental, à mon corps, à mon passé, à mes rêves, à mes souvenirs, à mes sensations, mon existence en elle-même, ma conscience, tout. C’était une rébellion contre tout ce qui est et qui a des contours, et mon ennemi final était le centre milieu de tout ce qui a des contours—je. Mur après mur, brique après brique, à coup d’explosif et de boulets de canons et de remises en questions continuelles, j’ai attaqué et attaqué et attaqué encore les remparts de moi-même. Je m’étais rendu jusque là, je n’allais pas m’arrêté maintenant.

Et soudainement, « je » a fini par céder, et, juste comme ça, je me suis retrouvé dans le vide. Dans le néant. B’en t’sais, non, pas « je », puisque « je » n’était plus là, mais « quelque chose » s’est retrouvé dans le vide.

Le vide s’est retrouvé dans le vide, disons.

Plus rien ne faisait de sens. Je n’avait plus rien sur quoi se reposer ou s’accrocher. Je était en perpétuelle chute dans l’absurde. Je s’était complètement dépersonnalisé, déréalisé, cannibalisé depuis l’intérieur vers l’intérieur encore.

Et la bouche ici au milieu du visage pourtant souriait.

Quelque part de profond, de fondamental, d’innommable, il y avait une paix que Je n’avait jamais vécu auparavant. C’était léger. Je ne tombait pas, Je n’était pas en chute libre dans le néant, Je volait.

Je était libre.

Puis, Je s’est ennuyé. C’était plate un peu, finalement, être juste comme ça dans le rien. Et donc, Je a choisi de tout reconstruire.

Peut-être un peu plus intentionnellement cette fois, même si pas tant que ça, au fond.
 J’ai re-construit un monde autour du vide.

Et aujourd’hui, même si je suis debout à nouveau dans un monde plein de constructions et de fondations et de croyances et que j’ai les pieds sur un sol solide, je souris encore, je suis en paix encore, c’est léger encore, je vole encore,

je suis libre encore.

J’imagine que c’est un peu parce que maintenant je sais que toutes ces fortifications ne protègent rien. Que du vide. Qu’au milieu de tout ça il n’y a rien du tout. Et donc, que rien n’est en danger. Et si rien n’est en danger, bien franchement, il n’y a vraiment pas de quoi s’en faire. Il n’y a vraiment pas de quoi en faire toute une histoire.

Lettre du dimanche