Mon amie il y a quelque chose qui se passe quand tu passes des années à déconstruire volontairement et consciemment tout ce que ton mental a créé et auquel il s’est identifié depuis son émergence. En tout cas, il y a quelque chose qui s’est passé pour moi quand moi j’ai fais ça, petit à petit, au cours des dernières années. Le sol s’est effondré en dessous de mes pieds.
Ça a commencé doucement, avec des petites perceptions, des petites croyances générales sur le monde extérieur, puis, doucement, graduellement, une brique après l’autre, j’avais pris un genre de goût à déconstruire, une obsession même, une addiction presque. TOUT devait être déconstruit.
Ça me donnait comme des chatouilles par en dedans quand je déconstruisais un concept jusqu’à son vide, quand je remarquais l’absurdité d’une idée, d’une croyance, d’un concept, quand je pouvais la faire disparaître complètement, c’était presque plus fort que moi, j’étais devenu un marteau piqueur, un boulet de démolition, une machine de guerre qui était parti en insurrection contre elle-même, contre tout ce que mon mental avait construit jusque là, s’était imposé à lui-même jusque là.
C’était difficile d’être mon amie pendant ce temps-là. Parce que cette insurrection contre moi-même était si grande qu’elle débordait par dehors. On ne pouvait pas me parler de quoique ce soit sans que cette envie pressante, ce désir brutal de tout détruire me fasse tout remettre en question constamment. Rien ne passait, rien ne s’en sortait indemne, je n’avais qu’un objectif, démolir l’abstrait, le conceptuel, tout réduire au néant.
Puis, au fil de ma mutinerie contre moi-même, je suis tombé sur la fortification finale, la plus haute tour, le château, le centre de la cité que j’avais saccagé sur mon passage—moi. La nature même de ce que j’étais, de qui j’étais, de ce qui se cachait derrière ce « je » qu’on m’avait apprit à dire et à comprendre quand j’était encore un bébé.
Mur après mur, brique après brique, à coup d’explosif et de boulets de canons, de remises en questions et de débat contre moi-même, j’ai attaqué et attaqué et attaqué et attaqué et encore attaqué les fortifications de moi-même. C’était devenu une obsession, je m’étais rendu jusque là, je n’allais pas m’arrêté maintenant. Rien n’était épargné, ma morale, ma conception de bien et de mal, mon identification au mental, à mon corps, à mes sensations, mon existence en elle-même, ma conscience, tout. C’était une rébellion contre tout l’univers, et mon ennemi final était le centre milieu de tout l’univers—je.
Puis, je me suis retrouvé dans le vide. Dans le néant. J’avais, quelque part dans le processus, tout détruit. Et le sol sur lequel je me tenais depuis des décennie avait fini par cédé, et il n’y avait plus rien. J’avais peur. Plus rien ne faisait de sens. Je n’avais plus rien sur quoi me reposer. J’étais en perpétuelle chute dans l’absurde. Je m’étais complètement dépersonnalisé, déréalisé.
Mais, je souriais.
Quelque part de profond, de fondamental, d’innommable, j’étais en paix. C’était doux, comme sensation, c’était léger. Je volais.
J’étais libre.
Puis, je me suis ennuyé. C’était plate un peu, finalement, être juste comme ça dans le rien. Et donc, j’ai choisi de tout reconstruire.
Volontairement. Intentionnellement, cette fois. De choisir les briques et les constructions mentales que j’allais ériger autour de moi. J’allais créer un univers, une conception de l’univers, pour moi.
J’ai re-créé le monde.
Et aujourd’hui, même si je suis debout à nouveau dans un monde plein de constructions et de fondations et de croyances et que j’ai les pieds sur un sol solide, je suis en paix encore, c’est doux encore, c’est léger encore, je vole encore,
je suis libre encore.
J’imagine que j’aurais pu sombrer dans le noir, que ça aurait pu être très dangereux comme processus. J’ai été chanceux je pense. Mais t’sais, c’est quand même ça, mon histoire.