Je suis important

Mon amie, je vais te mentir. Je vais aussi te dire la vérité.

Moi, c’est important.

Et lorsque je te dis ça, je sais profondément, intrinsèquement à l’intérieur de tout mon être que je te mens. Mais, aussi, je sais aussi intensément que je te dis la vérité. Pis je peux pas juste me positionner dans l’un seul des deux camps, parce que, ça, ce serait me mentir à moi-même d’une façon trop fondamentale pour que j’en sois capable.

Je n’ai absolument et totalement aucune importance. Aucune espèce de. Je ne vaux rien du tout. Je ne suis rien du tout. Ce que, depuis ma naissance, j’appelle « je » et « moi » n’est rien du tout de plus qu’un construit intellectuel, une impression d’être qui se concentre quelque part autour des fonctions musculaires dont elle a le contrôle, et, plus sommairement positionnée, il me semble, quelque part d’indéfini derrière mes yeux. Je n’existerais pas, ou bien je n’existerais plus, et le reste de l’univers ne s’en rendrait presque pas compte. Tout continuerait exactement comme si de rien n’avait été, tout simplement parce que, dans l’étendue infinie du néant, c’est la vérité, rien n’avait été. Pis je peux pas faire semblant que c’est pas le cas. Je peux pas avancer dans ma vie en me leurrant à croire que j’ai la moindre importance en tant que « je » individuel et dissocié du monde qui m’entoure. Je ne peux que faire face au néant de mon existence et au vide qui l’englouti et dire « ok. » Je suis trop vieux pour jouer à faire semblant et m’enfermer dans l’égocentrisme.

Mais.

Mais pourtant, malgré ma conscience totale de ma toute aussi totale insignifiance, je ne peux pas me mentir et me leurrer de l’autre côté et me faire croire que je n’ai pas de l’importance. Que ma vie, et tout ce qu’elle touche, n’a pas un impact profond et direct sur le reste de la vie. Que ce que je ressens quand je suis heureux ou triste ou énervé ou excité, ce n’est rien, que ce n’est pas tout ce qui existe, quand ça existe—que d’une certaine façon, « je » suis tout ce qui existe, la majorité du temps, alors que j’avance dans la peau de moi. Que, même si je me crois porté vers l’extérieur, je suis profondément et indéniablement complètement centré sur moi—de la façon qu’une conscience ne peut qu’être centrée sur elle, puisqu’elle ne peut expérimenter son existence qu’à travers un elle-même. « Je » est une paire de jumelle sur laquelle mes yeux sont totalement collés et « je » suis important. Beaucoup pour moi, mais aussi beaucoup pour tous les organismes qui m’entourent et avec lesquelles j’échange continuellement pendant mon existence. Et je suis aussi trop vieux pour jouer à faire semblant que ce n’est pas le cas et m’enfermer dans le nihilisme.

Alors je me retrouve là. Pas vraiment au centre, pas vraiment en équilibre, pas vraiment entre les deux, mais complètement enfoncé dans l’un comme dans l’autre, comme complètement aussi retiré de l’un comme de l’autre.

À ET te mentir ET te dire la vérité. Et, tu sais quoi, je me sens très bien.

Lettre du dimanche