C’est comme ça

C’est ok ce qui se passe en ce moment dans ma vie. Il y a un moment pour l’autrement puis aussi il y a un moment pour ça aussi. C’est comme le ciel; il y a un temps pour des fois le soleil puis il y a un temps pour aussi des fois l’orage. Il y a un temps pour la clarté et aussi un temps pour l’ombre. Il y a un temps pour savoir où on va et aussi un temps pour se perdre. Il y a un temps pour avancer et aussi un temps pour reculer. Un temps pour être heureux et un temps pour être malheureux. Un temps également pour être en sécurité et un temps pour être en danger. Un temps pour être en santé et un temps pour être malade. Un temps pour le facile et un temps pour le difficile. Il y a un temps pour vivre et, aussi, un temps pour mourir. Et c’est ok. C’est comme ça.

Pis t’sais, je sais que c’est pas aussi simple que ça. Que c’est dur des fois d’accepter que c’est comme ça. Mais, pis c’est justement ça l’affaire; on n’a pas besoin. Ce n’est pas quelque chose que j’ai besoin d’accepter ou pas. L’univers n’attend pas ma permission pour continuer. La pluie va pleuvoir que je l’accepte ou pas, puis elle va repartir que je l’accepte ou pas. Je—vais—vivre le facile et je—vais—vivre le difficile que je l’accepte ou pas. C’est comme ça. Au final, au fond, la seule chose que j’empêche quand je refuse d’accepter, ce n’est pas la pluie, ce n’est pas le difficile, c’est moi-même.

Quelque part dans la dernière décennie, je sais pas trop quand, je sais pas trop à quel moment, mais quelque part par là, j’ai arrêté de résister si fort à ce qui est. C’est quelque chose comme le bruit du frigo; quelque chose qu’on ne remarque pas sauf quand, enfin, ça s’arrête. Pis ça m’agace un peu, même si pas vraiment au fond, parce que j’ai pas tout à fait les mots pour bien te l’expliquer. J’aimerais ça te dire que t’as juste à te pencher et débrancher le frigo puis pouf, mais c’est pas simple comme ça. C’est un peu plus comme essayer de t’expliquer comment j’ai fait pour desserrer mon poing. Comment tu fais pour expliquer ça à quelqu’un? Tu peux pas. Je peux juste te dire que j’ai arrêté. Je peux juste te partager que j’ai constaté que j’avais desserré mon poing. Ou plutôt, pour être un peu plus juste, que mon poing s’est desserré.

Je pense, peut-être, maintenant que j’y pense un peu plus en t’écrivant, que ce qui s’est passé, c’est que je me suis profondément dissocié du personnage « je ». J’ai saisi que ce que j’appelais « je », au fond, existe exactement au même titre qu’existe une vague sur la mer. Est-ce qu’une vague existe réellement en tant qu’entité distincte de la mer? Est-ce qu’il y a vraiment quelque part en dessous de la vague une genre de ligne magique tracée au crayon rouge qui détermine que, juste ici, se termine l’entité de la vague et commence maintenant l’entité de la mer? Évidement que non. La vague, c’est la mer. La vague n’existe qu’en tant que concept intellectuel, qu’en tant que terme, qu’en tant que grossiers contours sémantiques que le mental humain se plaît d’y voir, parce qu’on s’est inventé un mot pour l’entourer. Et exactement de la même façon, « je » ne suis pas une entité distincte, avec comme au rebords de ce que j’appelle ma peau une ligne magique tracée au crayon rouge qui détermine que, juste ici, se termine l’entité « je » et commence maintenant l’entité du reste de l’univers.

La vague, c’est la mer.
Je, c’est l’univers.

Et, s’il n’y a pas de réelle entité distincte du reste de l’univers, s’il n’y a pas ici derrière cette peau et cette impression de contrôle musculaire un « quelqu’un », si « je » ne suis qu’un grossier contour sémantique, alors je te demande, à « qui » toutes ces choses faciles et difficiles arrivent-elles, exactement?

Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est qu’elles n’arrivent pas à un quelque chose de tangible, avec de vrais contours. Elles n’arrivent pas à un quelqu’un de distinct du reste de l’univers.

Peut-être qu’elles arrivent à « je » un peu comme les événements dramatiques arrivent au personnage que joue l’acteur sur la scène.

Peut-être qu’au fond, quelque part dans la dernière décennie, j’ai repris conscience tout à coup que j’étais un acteur sur une scène, même si une très très très grande scène, qui s’était un peu trop prit au jeu depuis le temps. Qui avait commencé à croire avec les années que j’étais ce personnage que j’incarnais. Que j’avais de vrais contours. Que j’étais la vague. Que je n’étais pas, en fait, l’entièreté de la mer.

Peut-être que c’est pour ça que soudainement, mon poing s’est desserré. Peut-être que c’est parce que j’ai arrêté de me croire le personnage de la pièce, que j’ai arrêté de croire vraiment aux contours, que j’ai choisi de continuer de jouer le jeu, de continuer la prestation, mais en sachant très bien, cette fois, que tous ces événements merveilleux et dramatiques qui arrivaient sur la très très très grande scène n’arrivaient pas à « moi ».

Que simplement, au cours de la pièce de théâtre, il y a un temps pour le soleil et un temps pour l’orage. Un temps pour la clarté et un temps pour l’ombre. Un temps pour savoir où on va et un temps pour se perdre. Un temps pour avancer et un temps pour reculer. Un temps pour être heureux et un temps pour être malheureux. Un temps pour être en sécurité et un temps pour être en danger. Un temps pour être en santé et un temps pour être malade. Un temps pour le facile et un temps pour le difficile.

Un temps pour vivre et,
aussi, un temps pour mourir.

Et que c’est ok.
Ce n’est pas grave.
Ce n’est pas merveilleux.
Ce n’est pas sérieux.
C’est comme ça.


Lettre du dimanche